[Changement de direction soudaine du vent et turbulences liées à un orage lors du lâcher solo]
Récit du pilote:
"Avant les deux tour de pistes du jour, mon instructeur et moi-même avons briefé le déroulement du lâcher solo: les menaces éventuelles, la vérification des notions à connaître, étude des déroutements possibles, prise de connaissance de la météo par les METAR et TAF de LFbb + ATIS LFCL. Les TAF de LFbb signalait une probabilité de 40% d’orage entre 15 et 18h UTC. Cette cellule orageuse était bien visible et présente au nord de Toulouse, et du côté de Blagnac. La cellule prenait la direction du nord-est et n’allait donc pas passer au-dessus du terrain de Lasbordes. Mon autonomie de carburant était supérieure à 3h30min de vol.
15h40 UTC environ : départ pour un tour de piste en double commande. ATIS LFCL : Info Fox, Piste 15 en service, Vent 120°/5kt, Visibilité >10km, QNH 1006.
Décollage piste 15, le tour de piste se passe sans problème, le vent est calme jusqu’à l’atterrissage 8 min plus tard.
16h00 UTC : L’instructeur estime que je peux être lâché, et je me sens également en confiance pour être lâché. Je pars donc pour un tour de piste en solo.
Les minima recommandés par la DGAC pour le premier tour de piste solo étaient acquis : vent faible et secteur avant (±20°), plafond > 3000ft, visibilité > 10km.
ATIS LFCL : Info Golf, Piste 15 en service, Vent 170°/7kt, Visibilité >10km, QNH 1006.
Décollage piste 15, montée initiale et vent traversier se passent normalement.
Début de vent arrière, je réalise les actions et fais la checklist : Pompe ON, Réchauffe CHAUD, Flaps 15° et je me stabilise à 2000ft et 70kt.
A ce moment-là, la cellule orageuse est toujours au nord de Toulouse, je l’ai bien en visuel et elle ne se dirige pas vers Lasbordes.
Au milieu de la vent arrière je ressens un changement soudain de la direction du vent de 180°. Ce changement me fait monter de 300ft et ma vitesse atteint les 85kts. Je corrige le tir et tourne en étape de base, le vent devient turbulent et sa direction très changeante. Je signale au contrôleur la présence de turbulences en base, et ne me sentant pas à l’aise avec ce vent, je me prépare déjà à dérouter vers Castelnaudary, un terrain que je connais et qui se trouvait à l’opposé de la cellule orageuse, au sud-est de Lasbordes et où le temps était visuellement dégagé.
Le contrôleur me dit que le vent préconise désormais un atterrissage piste 33 et me conseille de rester en attente à 1000ft verticale du terrain en attendant que les rafales se calment, car à LFBO l’orage était à peu près passé. Je suis ses conseils.
J’ai le temps de faire un 180° à la verticale avant que le contrôleur ne me donne la clairance pour rejoindre le début de vent arrière 33. Le vent est toujours turbulent et changeant, je décide de remonter à 2000ft pour rejoindre le circuit en début de vent arrière. En milieu de vent arrière piste 33 je repasse la checklist, je n’ai aucune action à faire car l’avion est resté en configuration vent arrière depuis la vent arrière piste 15. Je sens que le vent est toujours important mais les turbulences se calment. En base 33 je ne ressens plus de turbulences, le contrôleur m’indique un vent dans l’axe de la piste 33 pour 13kt.
En étape d’approche, je fais mes actions + checklist approche, je majore de quelques nœuds ma vitesse d’approche, j’observe la manche à air qui m’indique toujours le vent majoritairement dans l’axe, je suis stabilisé et décide d’atterrir une fois la clairance donnée. J’atterris et libère la piste avant mon retour au parking."

Commentaires du pilote:
"- Je n’ai à aucun moment ressenti que je n’avais plus le contrôle de l’appareil. J’ai toujours réussi à contrôler l’avion comme je le souhaitais malgré les turbulences et les changements irréguliers de direction du vent.
- J’ai envisagé de me dérouter vers Castelnaudary car c’est un terrain que je connais et lors du briefing avec mon instructeur, nous avons repassé en revue les terrains auxquels j’avais accès en cas de déroutement. Lors des communications avec le contrôleur, j’ai ensuite pris la décision de plutôt suivre ses conseils pour la verticale du terrain et l’intégration en vent arrière de la 33 plutôt que le déroutement.
- Le débriefing après vol avec mon instructeur et d’autres membres du collège instructeur m’ont permis de réaliser qu’une cellule orageuse à plus de 15NM provoque des mouvements de masse d’air dans une zone plus large que la cellule en elle-même ; ce que j’ai constaté aujourd’hui.
- Je suis parvenu à adapter ma trajectoire pour un atterrissage contre QFU malgré une masse d’air instable, en suivant les instructions du contrôle. J’ai mis en pratique l’importance d’envisager une solution alternative (déroutement vers Castelnaudary) si l’évolution des conditions météo ne permettait pas l’atterrissage."

Ce lâcher solo s'inscrit dans le cadre d'une préparation structurée: l'instructeur souligne que les différents prérequis pour le lâcher (capacité de l'élève à réaliser un déroutement, à traiter les différents cas de panne etc...) étaient remplis. L'élève était désireux de se faire lâcher et l'instructeur confiant sur ses capacité depuis un certain nombre de vols. Le déroulement de la séance préalable au lâcher ont permis de confirmer la bonne performance de l'élève. L'analyse de la météo préalablement au vol a également fait l'objet d'une préparation et d'une comparaison par rapport aux critères recommandés, en tout cas en ce qui concerne la météo reporté sur l'aérodrome Lasbordes.
La cellule orageuse était bien visible, glissant vers le nord-est et ne se dirigeant donc pas vers l'aérodrome de Lasbordes. Les tours de piste réalisés avant le lâcher dans un air calme ont conforté l'instructeur dans le fait que la cellule ne présentait pas de danger malgré son aspect menaçant reporté par des témoins présents sur place.
Une cellule orageuse peut cependant être dangereuse jusqu'à plusieurs dizaines de nautique de distance et pas forcément de manière stable dans le temps. Les turbulences et le changement de direction du vent rencontrés par l'élève sont typiques du phénomène de front de rafale. L'air froid descendant du cumulonimbus génère des descendances qui s'étalent sous le nuage jusqu'à plusieurs dizaines de nautiques y formant une zone d'air potentiellement très turbulent incluant des variations de vent brutales en force et en direction. Ces variations de vent constituent un danger en particulier lors de l'approche finale y compris pour les avions de transport commercial lourds. Le vol a proximité d'un orage est donc à éviter, l'avion pouvant passer brutalement d'un air calme à un air très turbulent. A titre d'exemple le METAR de Blagnac à l'heure du lâcher faisait état d'un orage sur le terrain accompagné d'un vent de 15kt, rafale 36kt, variable entre le 160° et 300°.

La décision de lâcher l'élève malgré la proximité de la cellule orageuse a peut-être été favorisée par les facteurs suivants:
. Souhait de lâcher l'élève après de nombreux reports (difficulté d'avoir des créneaux disponibles)
. Sous-estimation de la dangerosité potentielle de la cellule orageuse (en particulier du caractère dynamique du front de rafale)

Actions préventives :
. Archivage du REX pour diffusion aux membres
. Mise au point sur les conditions météorologiques requises pour les vols solo (réunion instructeur du 01/02/2023)
Pas de vols solo en cas d'orage à proximité, même sur une trajectoire divergente.